Rencontre avec Perito

7 Fév

Samedi 25 janvier

Cette fois, ce n’est pas un policier qui nous amène au croisement de la route 3. C’est Carlos, un bolivien qui habite à Puerto Santa Cruz depuis 20 ans. Nous n’attendrons pas très longtemps avant d’être pris en stop par Rolando, camionneur chilien qui va nous emmener juusqu’à Rio Gallegos. Loin de chez lui, il prend la route pour des cycles de 3 mois. Il n’aime pas tellement l’Argentine. D’ailleurs il ne mange que les réserves que sa femme lui a préparé. S’il nous a pris, c’est parce que nous sommes français ; il s’est déjà fait voler par deux passagers, et visiblement de nombreux escrocs font du stop. Comme quoi le danger est mutuel, et les mauvaises rencontres peuvent toujours arriver. La discussion est riche, même si nous ne comprenons pas tout. Rolando parle excessivement vite et mâche les mots. Politique, retraites, salaires, nous couvrons des sujets sérieux et parfois complexes. Comme presque partout, les politiques se moquent du peuple chilien en promettant de meilleures conditions de vie. Il nous explique que les législateurs ont mis deux ans pour, au final, ne pas trouver d’accord sur l’augmentation des salaires, mais qu’il leur a suffit de deux heures pour augmenter les leurs. La présidente, Michelle Bachelet, reçoit peu d’éloges. D’après notre chauffeur, seulement 50% de la population est allée aux urnes.

Avec son salaire correct (équivalent à environ 1400€), Rolando parvient à payer les chères études de ses deux enfants (21 et 23 ans, l’un en droit et l’autre en psychologie) et assurer sa vie quotidienne ; son aînée, 30 ans, a quitté le foyer et travaille. Là où il n’a aucune certitude, c’est sur sa vie de retraité. L’état lui ponctionnera un tiers de son salaire actuel, et d’après lui il sera alors très difficile de vivre convenablement. Beaucoup de personnes âgées mendient ou meurent de faim : une fois payées les charges et le logement, il ne reste souvent plus rien. Nos retraites en France paraissent mieux, mais c’est sans compter tout ces petits vieux avec le minimum vieillesse qui croupissent dans nos maisons de retraite. La détresse sociale n’a pas de frontière.

Nous ne voyons pas le temps passer tant la discussion est passionnante. À la fin, arrivés au sujet gastronomie, Rolando nous offre un fond de confiture de cerises maison (on vous en donnera des nouvelles !). Il nous laisse non loin de Güer Aike, au croisement entre la route 3 et 5. Le vent souffle sans discontinuer à une vitesse phénoménale. Je me mets en position de contre et pense aux héros de La Horde du contrevent, livre passionnant que je lis en ce moment. On bouffe du vent comme jamais, et on n’a encore rien vu !

Monotonie patagonique

De longues minutes s’enfilent, peu de voitures et zéro réussite. À côté de nous, un panneau fait maison est accroché sous un panneau officiel. Il dit : « Llevada los mochileros al Calafate. » (« Prenez les [autostoppeurs] qui vont à El Calafate. ») Ça n’augure pas vraiment du bon : cela doit être l’œuvre d’autostoppeurs désespérés de ne pas être pris. Pourtant, au bout d’une demi-heure dos au vent, une voiture s’arrête. Miracle ! Elle nous emmène directement à El Calafate. La voiture est luxueuse : grosse Dodge familiale (voiture américaine, pour les incultes), sièges confortables ; ventilation et lumières pour tous les sièges, même au troisième rang ; écran escamotable. Amalia conduit, et c’est grâce à l’une de ses deux filles à bord que nous avons été pris. Amalia est architecte à Rio Gallegos (maisons et projets publics), et toutes les trois vont voir son beau-frère qui gère trois restaurants à El Calafate. On nous offre le maté en écoutant de la soupe romantique (A ti me reste encore en tête) puis de la soupe américaine (Miley Cirus & compagnie). Nous avons même droit à un remix house de Ella elle l’a. Au moins les choix musicaux sont pleinement assumés ! Amalia nous propose de venir gratuitement au bar de glace que son beau-frère tient aussi, mais il lui fait comprendre au téléphone que ce ne sera pas possible – tant pis. Amalia me montre une revue d’architecture argentine quelle vient de découvrir. Il s’agit de maisons en « country », soit des communautés fermées pour argentins privilégiés. Quelques projets retiennent mon attention, mais l’idée même de villes fermées me rebute. Pas de contexte, pas d’histoire ou aspect social mis en valeur : ces maisons apparaissent comme des objets fermés posée dans un environnement fermé. J’apprends que ces « country » n’existent pas en Patagonie, beaucoup plus sûre que le nord du pays, aussi Amalia ne fait pas de projets dans ce type de contexte. À l’arrivée nous avons droit à un tour de l’ensemble des environs, en passant par la maison de vacances de Christina Kirchner, la présidente ; il paraît qu’elle possède une bonne partie de la ville.

Une fois notre tente installée, nous partons en quête de l’office du tourisme puis d’un bon endroit pour manger ce soir. Sur le chemin nous croisons Émeline et Kévin, ils sont arrivés la veille et sont dans le même camping que nous. Leur route a été plus rapide grâce à leur chance à Camarones. Ils ont dû cependant dormir à Comodoro Rivadavia et prendre un bus sur le chemin.

La ville d’El Calafate est la plus touristique que nous ayons vu depuis le début de notre voyage. Les restaurants et magasins d’habits de montagne remplissent la majorité des emplacements. Il y a même un casino pour s’amuser entre deux virées au glacier. Les bâtiments sont couverts de bois pour donner un style chalet de montagne ; les lieux publics s’en tiennent à la portion congrue. Pour autant, on ne se sent pas si mal dans cette ville et on prend rapidement ses repères pour faire les courses ou simplement se balader.

Parmi toutes les adresses du routard, nous finissons par choisir le restaurant le plus éloigné du centre : Pura vida. Par rapport aux prix du reste du pays, c’est assez cher (80 à 110 pesos argentins le plat, soit 8 à 11€) mais pas tant que ça vis-à-vis des autres adresses d’El Calafate. Et surtout quand on voit les quantités servies ! Jumaï prend une demi-courge remplie de légumes et viande d’agneau, moi une sorte de tourte d’agneau aux olives. L’ensemble est tout bonnement délicieux, original et suffisant pour quatre bons mangeurs – nous emportons la moitié de mon plat pour le lendemain ! Dessert et pain sont aussi parfaits que le reste, sans parler de l’ambiance décontractée et un peu hippie du lieu. Une adresse à retenir pour qui passe par là, n’oubliez pas d’emporter les restes si vous n’avez plus faim (pain y compris).

Dimanche 26 janvier

Nous passons la matinée à roupiller et ne rien faire. Comme le Perito Moreno est assez loin, nous réservons notre journée de demain pour aller le voir. Cet après-midi, nous faisons un tour par la réserve municipale de El Calafate, au bord du Lago Argentino. Selon nous, c’est une visite à ne pas manquer sur place. Le paysage est superbe, mais on peut surtout y voir énormément d’oiseaux. Les flamands roses ne sont malheureusement pas très visibles, par contre les nombreux rapaces, canards, et autres piafs se montrent volontiers de très près. La flore est aussi à l’honneur, avec des espèces endémiques et d’autres plus connues en France comme le pissenlit ou le roseau. La visite est bien faite avec de nombreuses indications, pertinentes selon la position des nids ou des plantes à observer.

Reserve municipale

Oiseau en vol

Decollage de rapace

Le soir, nous faisons notre premier asado nous mêmes au camping. On a pris un morceau de viande conseillé par un argentin au supermarché. Le barbecue est laborieux à mettre en place, d’autant plus que nous n’avons ni charbon ni buches ; je découpe des morceaux de bois près de l’étang du camping. À minuit, après 3 heures de patience, nos patates sont cuites et nous mangeons le tout un peu à l’arrache. Le reste sera pour le pique-nique de demain.

Lundi 27 janvier

On nous a prévenus : faire du stop pour aller au Perito Moreno est presque impossible. Hier, Émeline et Kévin ont eu un mal fou pour être pris, et ont profité de touristes cherchant leur chemin pour se faire emmener malgré le passager. Après une bonne heure de marche à la sortie de la ville, nous nous arrêtons. À part quelques bus touristiques et des locaux, personne ne passe. Nous avons cependant de la chance au bout d’une heure quarante d’attente : un couple de la Terre de Feu nous prend. Coïncidence ? La voiture sent la même odeur que celle d’Alejandro qui vient de la même région. Très gentils, nos deux sauveurs tentent de nous faire passer pour des argentins au poste d’entrée – mais ici les vendeurs de billets vérifient les papiers au moindre doute. Au moins nous proposent-ils de nous ramener après la visite du parc, super !

Perito Moreno, glacier

Nous avons donc quartier libre pour visiter le parc. Plusieurs chemins s’entremêlent et donnent des points de vue différents sur le glacier Perito Moreno. Ce gros bout de glace blanc et bleu en impose, aussi bien par sa taille que par les borborygmes qu’il émet. La glace craque, cède parfois, des morceaux tombent. Pourquoi passe-t-on tant de temps à regarder ce bloc d’eau solidifié ? Selon moi, c’est parce que le glacier, comme une montagne, nous impressionne par son immortalité. Nous pauvres mortels, que sommes nous face à cette masse solide et pourtant mouvante ? En vérité ce genre de considération intellectuelle ne vient pas sur le moment, ni à moi, ni aux milliers de gens qui sont venus prendre une photo de famille devant le mur de glace. À propos de mur, nous dédicaçons cette photo à tous les spectateurs de Game or thrones pour qui le glacier rappellera probablement le mur de la Garde de nuit.

Le mur

Pour éviter à nos conducteurs d’attendre, nous nous dépêchons de terminer la promenade puis sortons du parc. À côté du parking, nous les attendons tranquillement en triant les photos. Ils finissent par arriver et ont pris leur temps, heureusement ! Ç’aurait été dommage qu’ils nous attendent. Ils nous déposent juste devant le camping, le luxe.

Mardi 28 janvier

On ne peut pas dire que nous sommes efficaces ce matin – ou cet après-midi, puisqu’il est déjà 13h quand nous bougeons nos fesses. L’objectif étant de rejoindre El Chalten, à 200km d’El Calafate. Nous préparons une pancarte signalant que nous sommes français, puisque de nombreux argentins nous ont dit qu’ils ne prendraient pas d’auto-stoppeurs du pays, par peur du vol. Confiants, nous marchons jusqu’au poste de police, loin de la ville. Erreur ! Il est déjà assez tard et peu de voitures passent. Plusieurs voitures chargées d’auto-stoppeurs nous narguent, nous sommes sûrement trop loin sur la route. À 18h00, nous nous disons qu’il est trop tard pour continuer à lever le pouce : pour peu qu’on nous emmène à une intersection, nous serions coincés pour la nuit.

Affamés, nous craquons pour une parrilla libre au camping : viande et légumes à volonté. L’agneau est décidément délicieux, bien cuit et bien gras comme j’aime par endroits. Le boudin est moins bon, mais c’est tout pardonné tant nos ventres sont pleins à craquer. Surtout que ce soir pas de tente à déplier : pour 10 pesos de plus, nous dormons en dortoir.

Mercredi 29 janvier

Nous avons bien fait de dormir au chaud, la pluie est tombée toute la nuit. Au réveil, il pleut encore et nous attendons l’accalmie. La tente d’Émeline et Kévin est trempée. Nous partons avant eux, confiants, en nous plaçant cette fois au deuxième rond-point après l’avenue principale. Un allemand attend déjà depuis un bout de temps. Visiblement agacé par notre présence, il nous invective en partant plus loin encore à la sortie de la ville. Tant pis pour lui si nous sommes pris. Une heure plus tard, nos deux compagnons de route français arrivent au même point que nous : on n’est pas sortis de l’auberge ! Un chien de berger les suit depuis le camping et se couche tranquillement à côté de Kévin. Tous les quatre attendons comme ça jusqu’à 12h. Notre joker, le bus de 13h, part bientôt et il serait dommage de perdre encore une journée dans cette ville touristique. Nous retournons en ville, le chien nous suit toujours ; sur la route, nous croisons deux français qui voyagent aussi en stop ; puis deux argentins à la fin du boulevard principal. Il y avait donc rude concurrence, autant dire que nous n’avions aucune chance.

Le stop, c'est que du fun

Au terminal de bus, nous profitons du retard de notre bus pour discuter avec une voisine de tente japonaise [nous ne connaîtrons jamais son nom]. Elle vient d’une ville de – seulement – 1 million d’habitants dans la région Kyushu et voyage seule, comme de nombreux japonais en Amérique du Sud. Cette destination est très prisée des nippons pour faire du trek, les montagnes japonaises n’étant pas très accessibles. Pour elle, il était difficile de trouver quelqu’un pour voyager avec elle, la région paraissant hostile pour beaucoup de compatriotes. Quand nous nous plaignons de ne pas bien saisir l’accent argentin, il faut imaginer être à sa place : elle ne parle que anglais (excellemment bien d’ailleurs) et pour elle, l’argentin ressemble… à de l’hébreu !

Quand le bus de nos amis français part, le chien de berger aboie de tristesse. Ça fend le cœur. Peu après, nous embarquons. Pendant le trajet, j’exerce mon néerlandais avec une expatriée en Allemagne qui part pour 3 mois avec son mari. Ils ont réussi à garder leur travail et leur salaire pendant leur voyage ; j’ignore si ce serait possible en France.

Arrivés à El Chalten, je suis sorti de ma torpeur post-sieste par les rangers du parc national. La visite de l’office des parcs nationaux est obligatoire pour tout bus entrant dans la ville. Bon point, ainsi les – je reste poli – ignorants qui dérogent aux règles ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Ça n’empêchera pas, plus tard, de voir des papiers par terre ou des israéliens qui empêchent tout le monde de dormir. Les informations sont claires, quoique parfois l’accent de la ranger est difficile à déchiffrer. Tant bien que mal nous arrivons dans le camping. Bonheur ! Une grande salle commune permet de faire à manger et rester au chaud jusqu’à 23h. Entre les chevaux et les haies, on sera bien ici.

El Relicho, camping du bonheur

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