Transition Chiloé

19 Fév

Vendredi 7 février

C’est parti pour le Chili. Ne pleure pas, Argentine, on va se revoir dans pas longtemps. Nous atteignons la frontière et patientons un bon moment. On a droit au numéro spectaculaire du labrador de la douane, qui détecte toute trace de fruits, légumes, viande, produits laitiers, interdits au Chili. Il parcourt tous les sacs, et celui de Jumaï l’intrigue. On s’en doutait un peu, à vrai dire, puisque deux français nous avaient donné un petit sac de feuilles de coca à Buenos Aires. Heureusement, ce n’est pas spécialement illégal et après moquerie des chiliens (« Pour quoi faire ? C’est pour l’altitude ? Ah ah, mais en Bolivie vous en trouverez partout ! »), le sac de coca finit à la poubelle.

L’entrée sur le territoire est simple bien qu’un peu longuette (il n’y a qu’un seul bureau) et arrivés dans un bled plus loin, nous changeons de car pour nous rendre à Puerto Montt. Le minibus est blindé, et nous ne comprenons pas pourquoi il y a des gens debout. Nous comprendrons plus tard pourquoi.

Aussitôt arrivés à Puerto Montt, nous nous empressons d’acheter nos billets pour Ancud, village situé sur l’île de Chiloé. On a deux heures à tuer dans le coin pour manger un bout, et nous allons juste à côté, dans un boui-boui familial. Le temps que le plat soit prêt, nous discutons avec Carmen, une adorable grand-mère venue visiter sa famille ici. Elle nous donne son numéro de téléphone ! Pour 2000 pesos chiliens (2,8€) on a une bonne barquette de porc, riz et tomates. Un dîner parfait au bord de l’eau.

Au bord de l'eau

Dans le car vers Ancud, il y a de nouveau des gens debout. Surpris par le monde, nous n’allons pas nous installer à nos places déterminées mais sur d’autres sièges. Très vite une dame nous fait lever : c’est sa place. Nous restons debout un bon moment avant de comprendre qu’un couple nous a pris nos places sans payer. On nous expliquera plus tard qu’en fait, il est possible de monter dans le bus sans ticket et de payer plus tard. C’est moins cher mais il n’y a pas de place assise. Au bout d’un moment nous allons donc récupérer nos places en nous faufilant.

Le trajet vers Ancud comprend la traversée en bateau. Sur le pont, nous attendons les dauphins avec impatience, mais leurs apparitions seront fugaces, nous ne verrons que quelques ailerons au loin. C’est déjà pas mal !

Au terminal de bus Cruz del sur, plus central que le terminal municipal, nous essayons de faire comprendre à un type de « l’office de tourisme » dans quelle auberge nous aimerions aller. On finit par se faire embarquer dans une cabaña pas chère mais banale : Hospedaje « su casa ». Au moins on profite d’une chambre pour deux et de la télé. Sur cartoon network, nous découvrons un excellent dessin animé : Adventure Time. Drôle, poétique et absurde, cette série vaut vraiment le détour. À la télé, il y a aussi l’inauguration des jeux olympiques, on a donc le droit à la tronche de Poutine. Youpi.

Samedi 8 février

Le petit déjeuner de la cabaña est excellent, à la mesure de ce qu’on nous avait annoncé. Œufs brouillés, fromage, dulce de leche de Chiloé (!), bon pain, gâteaux en tous genres. On est remplis pour la journée.

Maison typique de Chiloé

Programme de la journée : visite d’Ancud puis départ pour Cucao. Cet endroit nous a été recommandé par Renato, c’est un petit bled au cœur du parc national de Chiloé. Mais avant, Ancud est une petite ville bien jolie et facile à parcourir à pied. Les maisons sont souvent recouvertes de « tuiles » en bois cloutées sur les murs. Rivalisant par leurs couleurs et leurs motifs, les baraques ont du caractère. Sur la place principale, une feria bio nous permet – enfin – d’acheter de bons fruits et légumes. Alléluia ! Pommes, cassis, framboises, patates de toutes les couleurs, carottes, avocats, et un fromage de chèvre alourdissent mon sac.

En famille à la feria organica

Pendant la feria, des petits groupes de musique locaux s’enchaînent pour des sets de 3 ou 4 chansons. Puis nous visitons l’église centrale qui semble curieuse de l’extérieur avec son fronton en structure acier et son hideux parement de pierre. À l’intérieur on découvre une architecture métallique combinée avec du bois. L’église est simple, authentique et ne cherche pas à imiter quoique ce soit. L’autel est éclairé par un beau shed qui met bien en valeur la statue de Jésus. La paroisse d’Ancud a eu le bon goût de ne pas trop décorer l’édifice, c’est une très bonne surprise.

Et la lumière fut

Nous dévalons la rue jusqu’au bord de mer. Et puis on se dit qu’on va peut-être se diriger vers Cucao. Pour y aller nous décidons d’improviser. Marche tranquille jusqu’au terminal de bus municipal, Jum prend quelques photos marquantes sur la route.

Chien posant devant sa baraque

On apprend que pour aller à Cucao, il faut passer par la ville principale de l’île, Castro. Nous commençons à faire du stop non loin du terminal, et assez vite Manuel nous prend. Il ne va pas dans notre direction, mais peut au moins nous pousser à la route 5 un peu plus loin. Comme la voiture est de type Renault express, il n’y a qu’une place à l’avant. Jumaï monte donc à l’arrière entre la cargaison de poisson et la gamelle de Reina, la petite chienne de Manuel. Entre eux, c’est une grande histoire d’amour. Quand Manuel va regonfler les pneus, elle se met à la fenêtre et vérifie que son maître va bien. Nous les quittons au croisement de la route, avec des sacs qui puent sévèrement le poisson.

D’abord tous seuls au point de stop, nous avons rapidement énormément de concurrence, à tel point que, sous nos yeux, deux autostoppeurs à peine arrivés derrière nous sont pris ! Heureusement, un jeune couple de collègues nous invitent à embarquer avec eux à l’arrière d’un pick-up. Notre rêve de voyager la tête au vent se réalise enfin! Bon, en vrai il fait bien froid et le vent rend rapidement fou à vive allure.

À l’entrée de Castro, nous voyons furtivement l’attraction de la ville : les petites maisons de pêcheurs multicolores sur pilotis (les maisons, pas les pêcheurs). Le chauffeur nous arrête près de la plage. Nous quittons nos camarades auto-stoppeurs. Sur la plazoleta du petit train, on remarque un panneau inédit : « zone de risque de tsunami. » Les tremblements de terre sont fréquents au Chili et il peut arriver, comme en 2010, qu’ils déclenchent des tsunamis.

Le tsunami de l'amour

Nous marchons tranquillement le long de la mer jusqu’au centre de la ville, les bus pour Cucao sont fréquents. Sur la place centrale, une scène, des musiciens traditionnels, une fontaine, les enfants se baignent dedans. Nos ventres nous mènent à une fête paroissiale qui vend des empanadas pas chères, on saute sur l’occasion. Elles sont bonnes mais un peu chiches en garniture. L’église domine l’ensemble de sa hauteur et de ses couleurs jaune et mauve. D’après la description du Petit Futé que nous avons trouvé au camping de Bariloche, il s’agit d’un édifice 100% bois. Je pardonne au guide en papier de se tromper sur ce fait : il y a des clous en métal sur la façade. À l’intérieur, c’est surprenant, parce que l’église est construite en bois mais parée comme si elle était en pierre. Les colonnes sont creuses, les voutes aussi, visiblement. Il manque la présence de la charpente bois bien réelle derrière tout ça puisque ce n’est qu’artifice. Et c’est cela qui rend cette église fascinante.

L'église de Castro Disney

L'église en bois, 99% bois

Au terminal, nous patientions sur le parvis, quand Hector dit « Tito » vient nous demander si nous comptons prendre le bus sans ticket. C’est à ce moment que nous comprenons pourquoi certaines personnes sont debout et d’autres non. Si l’on choisit de monter sans billet on paie plus tard, et c’est moins cher, mais on peut passer tout le voyage debout. Dommage on a payé. Nous faisons ainsi la connaissance de la bande de jeunes avec qui nous allons passer du temps à Chiloé. Tito, 27 ans et Roberto, 21, ne se ressemblent pas vraiment mais ils sont frères. Avec eux, Ariano, Conejo (ce sont des surnoms) et la fille aux cheveux rouges (faute de nous rappeler quel est son surnom ou prénom). Nous espérons pouvoir corriger un jour cette faute de mémoire. Ils vont tous les cinq au camping « El Abuelo Peto », le moins cher de Cucao.

Le bus nous mène un peu plus loin que le bourg de Cucao. Pas de panneau, rien, nous avançons à l’aveugle sur la route de terre. 15 minutes de marche plus tard, nous arrivons enfin au camping. Enfin, si on peut appeler ça un camping. Le propriétaire prend 2000 pesos par personne en liquide et sans reçu. Pas d’eau chaude, pas d’électricité, c’est un camping à la dure. Le cabanon de toilettes est délabré, squatté par la puanteur et les tags. Le terrain est agréable cependant et nous nous installons au crépuscule. Notre tente en place, nous mangeons nos délicieuses victuailles biologiques. Un reste de pain, du chèvre, des carottes, de l’avocat, et ça fait un bon repas. Une fois repus, Jumaï va pioncer pendant que je discute autour du feu avec les cinq jeunes chiliens.

J’en apprends plus sur les légendes fondatrices de Cucao. Sorciers, sirènes et oiseaux magiques peuplent la mythologie insulaire. Ainsi, l’île a été fondée lors du combat intense entre Caicai Vilu et Tenten Vilu, deux serpents géants. Le premier est la mer et tout ce qui y vit, le second est la terre sur laquelle vivent, entre autres, les humains. Caicai Vilu, jaloux que les hommes entretiennent et prennent soin de la terre sur le dos de Tenten, provoque un combat sans pitié avec son rival. Il inonde toute la partie du Chili qui était jusque là liée à l’actuelle Chiloé. Tenten parvient à surélever la terre et sauve Chiloé de la destruction.

Plus tard, nous allons voir un incroyable spectacle naturel. Derrière les bosquets qui entourent le camping, un lac sans la moindre ride d’eau reflète parfaitement le ciel. La vue est vertigineuse ! Je ne parviens pas à faire lever Jumaï pour quelle voit ça. Retour au coin du feu, j’apprends plein de mots argotiques, beaucoup trop pour me souvenir de tous. Ça se termine en beatbox de Bonfire a cappella. Que c’est agréable une soirée sans portable, sans lumière artificielle, sans autre bruit que celui des habitants du camping ! Trompette répétitive, improvisation de rap sur beatbox, musique folklorique, les campeurs se passent aisément d’une sonorisation de voiture – pour notre plus grand plaisir.

En m’endormant, j’entends jusque tôt le matin les infatigables musiciens. Pas de doute, on est quand même bien tombés.

[Toute la nuit le pacifique a grondé. Bien qu’éloignés de la plage nous percevions parfaitement le bruit des vagues. Si bien que j’ai rêvé toute la nuit de tsunamis et maudit les fêtards trop saouls pour nous prévenir de la catastrophe… C’est bizarre d’avoir à apprivoiser un nouvel océan !]

Texture de Chiloé

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