Santiago, ville montagne

13 Mar

Lundi 10 février

C’est notre premier voyage en confort « cama. » Les sièges sont confortables, mais le repas laisse à désirer (un sandwich mou au fromage, et c’est tout). Comme dans chaque bus que nous avons pris, notre écran a un problème – sommes-nous maudits ? – l’image saute ou affiche des couleurs verdâtres. Et puis, World war Z est en espagnol, mais sans sous-titre. On n’a pas compris grand chose, si ce n’est que Brad Pitt est vraiment trop fort. Soldat, médecin, scientifique, il collectionne les casquettes et a le cul bordé de nouilles. Son avion s’écrase, il est le seul survivant avec une soldate israélienne, et il tombe pile poil à côté d’un centre de recherche pour éliminer les zombies. Trop fort, on vous dit. Le reste du trajet se passe très bien, on peut pioncer sauf quand le papy d’à côté hurle dans son portable.

Mardi 11 février

Nous arrivons tôt à la capitale. Très vite nous trouvons le métro à la station Universidad de Chile. L’auberge que nous visons est dans le quartier de la fête : Bellavista. Très tranquille et plutôt joli, le quartier est clairement aisé et bobo. Les prix de l’auberge sont à la mesure du lieu, mais nous ne nous doutons pas alors qu’il y a bien moins cher. Au moins l’hôtel est très joli, avec de grandes pièces communes, deux cuisines et un coin ordi. Les lits de dortoirs sont larges et vont nous permettre de dormir tous les deux. Youhou!

Après une mise à jour du site, nous partons en quête d’un Italiano. L’adresse que nous avions trouvé n’existe plus, nous errons dans le quartier et nous échouons à la place d’un restaurant populaire à côté de l’hôtel. Jumaï teste le pastel de choclo, une sorte de gratin de maïs garni de légumes et viandes variées. Moi je prends une sorte de viande marinée avec des haricots (je ne me souviens plus du nom de ce plat classique). Un régal.

L'hémicycle irrigué

En nous promenant dans le quartier nous tombons par hasard sur la Chascona, maison de Pablo Neruda. Il était trop tard pour la visiter, au moins pouvons-nous profiter de l’hémicycle irrigué. Nous discutons avec un voyageur turc qui, pendant un court séjour en France, a acquis quelques bases de francais. Avant de retourner à l’auberge nous partons en quête de provisions. Sur la route, nous apercevons le GAM, centre culturel Gabriela Mistral, qui m’intrigue d’abord par sa série de poteaux brutale qui continue dans le vide. L’enveloppe en acier corten est à la mode mais ne déparait pas. Tout comme la Chascona, ce sera une visite pour un autre jour. De retour vers l’auberge, la plaza Italia est animée par de nombreux jeunes danseurs de break dance. Le concepteur de la place ne pouvait pas imaginer qu’un jour son estrade en marbre serait utilisée comme club de danse. Encore une preuve, s’il en fallait, que l’espace conçu importe peu, son usage si. Le plus laid des endroits pourra être merveilleusement habité, et le plus bel espace déserté. Tout dépend des potentialités du lieu et de l’imprévisible facteur humain. L’estrade de marbre de la plaza Italia glisse bien, elle est au milieu d’un carrefour donc très visible, et son escalier permet de s’assoir et d’observer la joute. On ne pouvait pas faire mieux. Les habitués, tour à tour danseurs ou DJ, surplombent la piste assis sur les marches et passent du rap ou du dance hall (peu de reggaeton, musique de jeune typique et lassante). Les nombreux spectateurs s’arrêtent sur la partie goudronnée, entre deux passages piétons. Sur les côtés de l’estrade, des pelouses permettent aux novices de s’entraîner sans mettre leur honneur en jeu. Les danseurs, enfin, sont de niveaux inégaux : les meilleurs se mesurent les un(e)s aux autres avec des mouvements complexes ; les moins bons (les plus timides ?), dansent seuls ou hochent la tête. Tous semblent ne pas prêter attention au public, mais pourquoi seraient-ils là sinon ?

Danseurs exaltés

Sur le retour, nous croisons le regard de l’un des nombreux artistes de rue qui peuplent les carrefours. Pendant le temps du feu rouge, un jongleur pratique un court numéro avant que les flots de voitures le dépassent. Souvent les automobilistes ne donnent rien, et cette fois c’est nous qui donnons un peu de monnaie. Entre deux représentations, l’artiste pose pour la photo.

Salut l'artiste

Mercredi 12 février

Le programme est chargé aujourd’hui. Entre les musées et la Chascona nous allons pas mal gambader. Nous commençons fort avec le musée des arts précolombiens, qui expose soigneusement des pièces de toute l’Amérique. Les expositions ont la taille parfaite pour être parcourues sans se presser ni rester sur sa faim, avec une scénographie simple mais efficace. Dans l’escalier qui mène aux expositions, une grande carte des Amériques et une frise permettent de bien comprendre la nomenclature, la géographie et la chronologie des civilisations amérindiennes. Un rappel le long de l’exposition n’aurait pas été du luxe, tant il est difficile de se rappeler toutes ces informations. Heureusement, les informations sur les pièces sont très précises et, choses rare, un dessin permet de bien s’y retrouver dans la vitrine. Entre les tissages, l’orfèvrerie, la poterie, le musée montre à quel point la technique et la culture des indigènes étaient, s’il fallait encore le prouver, complexes et développées.

Au musée des arts précolombiens 1

Au musée des arts précolombiens 2

En sous-sol, l’exposition se concentre uniquement sur le Chili avant que le pays existe vraiment. Soit: la culture indigène avant et aussi, après l’arrivée des conquistadors (par exemple, les chevaux étaient originellement inexistants en Amérique). Avec cette exposition on comprend bien que le Chili assume son héritage indigène. Ce n’est pas comme en Patagonie argentine où tous les natifs ont été exterminés. La salle d’exposition du sous-sol, grand volume en béton, est d’une belle simplicité. Sous les ouvertures zénithale, la population de statues prend même une dimension spirituelle.

L'une des statues mystiques

Sous les fraîches arcades autour du musée, nous mangeons un pique-nique avant de reprendre un bain de chaleur. Derrière le palais de la Moneda, nous découvrons un passage qui mène au centre culturel de l’édifice. Dedans, une cinémathèque, quelques boutiques d’artisanat et des expositions. L’une d’elle présente des jeunes designers chiliens qui donnent de bonnes idées. L’exposition payante est consacrée au design italien actuel. Beaucoup d’idées saugrenues et inventives, comme cette brosse à dent / bague, qui évitera au voyageur légers de découper le manche de leur brosse à dent pour gagner 2 grammes. Et puis il y a cette fantastique étagère que l’on veut absolument fabriquer. Dans un coffrage en bois, divers objets découpés (boîtier d’écran cathodique, seau, maison de poupée, etc.) en plastique constituent les rangements ; les interstices sont remplis de polyuréthane expansé. Au retour, on aura du travail pour la reproduire !

Centre cultural de la Moneda

On rentre un peu au hasard par les rues inconnues du quartier des bureaux. Nous tombons sur le Cerro Santa Lucia, illustration parfaite de la magie de Santiago : en pleine ville, une colline qui dépasse les immeubles. Sur la colline, un parc kitsch mais agréable à la manière des Buttes Chaumont. Visiblement, c’est un repaire pour les amoureux qui profitent de l’ombre et des bancs publics pour se bécoter. L’heure tardive ne nous permet pas de tout visiter sur la colline, au moins pouvons-nous profiter de la superbe vue au sommet. À quelques dizaines de mètres seulement, quelques immeubles dépassent péniblement le Cerro. La vue est incroyable parce que, justement, nous ne sommes pas dans un immeuble mais sur un édifice naturel, à l’air libre.

Touristes stylées au Cerro Santa Lucia

La vue depuis le Cerro Santa Lucia

Nous avions prévu des restes pour le dîner, mais nous craquons plutôt pour un completo chez Hog’s, une adresse connue et assez chère. Heureusement la saucisse y est tout simplement délicieuse, et la garniture, quoiqu’elle manque un peu de quantité, est raffinée.

Puis, pour ne pas perdre la main sur le chemin, nous mangeons de merveilleuses glaces chez Emporio de la Rosa, une institution. Trois parfums parfaitement maîtrisés dans un pot de 500g pour deux : orange au gingembre, chocolat pimenté (des petits morceaux réchauffent la bouche) et l’excellentissime fruit de la passion. (Ps: remarquez avec quelle précision professionnelle Hadrien décrit ce moment de bonheur!) Sans aucun doute les meilleures glaces que nous ayons mangé depuis le début du voyage.

Sur la Plaza Italia, pas de danseurs ce soir. Ça tombe bien, nous avons encore un programme chargé demain, donc dodo le ventre plein de bonnes choses.

Jeudi 13 février

Comme nous sommes tout près de la Chascona, c’est notre première visite de la journée. La maison de Pablo Neruda et Matilde Urritia (à qui le nom « Chascona » fait référence), très personnelle, est aussi intéressante pour son enveloppe que pour son contenu. Une maison-bateau qui recèle bien des trésors. Verres de couleurs changeant le goût de l’eau, passages secrets et mobilier passant du bois sombre au design 70 en plastique, c’est un délicieux bazar qu’on a immédiatement envie d’habiter. Le poète est un bon vivant et ça se voit, un bar donnant sur le jardin était auparavant complètement ouvert ; dans le salon, le bar reprend des éléments nautiques. Une autre pièce de réception a servi à veiller le corps de Neruda afin, entre autres, d’éviter le pillage et la destruction de la maison par les hommes de Pinochet. C’est à la suite du putsch que l’état de santé de Neruda à empiré jusqu’à sa mort. Dans les pièces intimes, il manque une grande partie de la collection de livres qui a été distribuée entre les différentes maisons du poète. On peut quand même regarder quelques bibelots comme sa médaille de la Légion d’honneur ou celle du Prix Nobel de littérature. Les photos sont malheureusement interdites à l’intérieur, on se contente donc du jardin et des façades.

Peintures murales dans la Chascona

Nous allons ensuite droit vers le centre culturel Gabriela Mistral. L’histoire du lieu est chargée : déjà centre culturel sous Allende, il est devenu le centre du pouvoir de la dictature de Pinochet, puisque le palais de la Moneda était démoli par les bombardements. D’où les poteaux dans le vide qui remontent à la construction de l’édifice, qui a aussi brulé en partie. Le retour en centre culturel à permis de restaurer les œuvres d’art supprimées sous la dictature. Un poisson tressé d’Alfredo Manzano, un vitrail de Juan Vernal Ponce complètent le très bel habillage autour de la structure originelle. Entre les différentes parties du bâtiment, des places publiques protégées du soleil violent sont très appréciées par des groupes de midinettes ; en s’aidant de leur reflet dans les vitres, elles révisent des chorégraphies sur de la soupe états-unienne. Le programme du bâtiment comprend restaurant, boutique sponsor Puma, salles à disposition, salles de spectacle et expositions. En ce moment, été oblige, le lieu hiberne et laisse place à des ateliers divers. Les expositions en elles-mêmes ne sont pas fantastiques, l’une d’elle est consacrée à l’astronomie pour les enfants, l’autre à l’art populaire. On peut ainsi admirer de l’artisanat de tressage et tissage. Le meilleur étant un court-métrage sur Alfredo Manzano, plus expérimental que descriptif, pour notre plus grand plaisir. Sous le vitrail, nous mangeons des restes avant de prendre le métro jusqu’au musée des droits de l’homme. Ouf!

Le poisson tressé sous le vitrail

Le parallélépipède du musée est posé sur une place aride à moitié en pente, où l’on peut lire les articles de la Déclaration des Droits de l’Homme. L’entrée est gratuite, donc pas d’excuses pour ne pas y aller, tant la visite est passionnante et émouvante. Gavée d’archives, l’exposition sur deux étages couvre la période de la dictature de Pinochet, du putsch au retour de la démocratie. Par de grands thèmes comme l’emprisonnement politique ou le rôle de la religion, de la presse, des artistes durant la dictature, on en apprend énormément, voire trop pour notre niveau en espagnol. L’émotion monte souvent, comme par exemple en découvrant les hippocampes des prisonniers. Ce n’était qu’aux toilettes qu’on leur retirait le bandage des yeux ; ce qu’ils pouvaient alors regarder, c’était une grille d’évacuation représentant un hippocampe, devenu un symbole de liberté. De nombreux hippocampes seront ainsi fabriqués en soutien aux prisonniers.

Le temps passe vite dans ce musée très dense, à tel point que nous y restons jusqu’à la fermeture. Entre deux sessions de musée, nous passons par la station de métro pour un appel Skype, où il est possible d’accéder à internet via un Wi-Fi gratuit de l’opérateur téléphonique Claro. Gratuit (pour 30 minutes) si l’on possède un numéro d’identité national, ce qui n’est pas notre cas (qui sait un jour?…). Une gentille dame nous connecte avec ses numéros à deux reprises, on a de la chance. En revenant au musée par la station de métro, une salle expose de belles mais très dures photos sur les attentats commis par le Sentier Lumineux au Pérou.

Le plus dur à encaisser du musée des droits de l’homme est celle des souvenirs de prisonniers. Dans un court film, les victimes de viol, d’électrochocs et autres tortures racontent leur humiliation et leur douleur. La fin du musée finit sur une note positive puisque la dictature de Pinochet est tombée. Nous regardons les films publicitaires du référendum qui a destitué la dictature, et le mythique « vamos a decir que no ! » nous reste en tête. Mais quand on sait qu’un bon tiers de la population a voté en faveur de la dictature militaire, on se dit que le Chili a encore du travail pour éponger ces dures années passées. On peut d’autant féliciter l’initiative de ce musée, incontournable pour bien comprendre l’histoire récente du Chili.

Avant de retourner à l’auberge nous passons acheter nos billets de bus pour Valparaíso. Nous nous perdons un peu avant de nous rendre compte que le terminal de bus n’est pas à Estación central, mais à la station Universidad de Chile. On poireaute un bon moment avant d’obtenir nos billets, puis nous prenons le métro à l’heure de pointe. On a notre dose de foule pour la journée.

Santiago, ville montagne

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